Avec le réchauffement climatique, les avions vont avoir de plus en plus de mal à décoller
Les fortes températures peuvent avoir des conséquences directes sur la manière dont les appareils décollent.
En 2017, une étude de l'université Columbia «pointait les risques inexplorés du changement climatique sur l'aviation » et «le potentiel substantiel pour des effets en cascades, économiques ou autres». Le phénomène n'est donc pas récent, mais il pourrait s'accélérer dans les prochaines années. La multiplication des vagues de chaleur, avec des records de températures observés cet été et récemment au mois d'octobre, laisse peu de place à l'optimisme. Les pics de plus de 40°C en France, et de plus de 50°C dans d'autres parties du monde, changent notre manière vivre... mais aussi de voyager. Avec une conséquence directe sur le transport des personnes. La surchauffe du thermomètre va en effet avoir un impact notable sur le décollage des avions.
Par conception, les appareils sont très lourds. Par exemple, un Boeing 777-300ER qui réalise des vols long-courriers pour KLM jusqu'à Singapour ou encore Buenos Aires, peut posséder une masse maximale au décollage de 351 tonnes. Or, comme nous l'a appris la pomme de Newton, la gravité veut que les corps (au sens physique du terme) soient maintenus au sol. «Afin de vaincre la gravité, ils doivent générer de la portance, c'est-à-dire, l'atmosphère va pousser l'avion vers le haut», explique auprès de CNN Paul Williams, professeur de sciences de l'atmosphère à l'université de Reading, au Royaume-Uni. «La portance dépend de plusieurs facteurs, mais l'un des plus importants est la température de l'air. Et à mesure que l'air se réchauffe, il se dilate, de sorte que le nombre de molécules disponibles pour pousser l'avion vers le haut baisse.»
La hausse des températures a donc des conséquences mesurables la portance de l'avion. Cette dernière baisse en moyenne de 1% à chaque hausse de 3°C, démontre Paul Williams qui a mené une étude dans dix aéroports grecs. Or, comme le rappellent les expertises apportées par le GIEC, les vagues de chaleur vont s'intensifier. «La chaleur extrême rend plus difficile le décollage des avions et, dans certaines conditions vraiment extrêmes, cela peut devenir complètement impossible», souligne Paul Williams.
Le problème est particulièrement prégnant dans les aéroports à haute altitude (l'air y est plus rare) et avec des pistes courtes (elles laissent moins de place aux avions pour accélérer). À en croire le chercheur britannique, un avion moyen aurait besoin de près de 2 kilomètres de piste quand il fait 20°C, alors qu'il lui en faudrait 2,5 kilomètres sous 40°C.
Des vents pas assez puissants ?
Un autre élément vient s'ajouter : le vent. «Le vent de face est bénéfique pour les décollages. Et il y a des preuves que le changement climatique provoque ce qu'on appelle un calme global. C'est pourquoi les vents semblent ralentir», poursuit Paul Williams. D'après le dernier rapport du programme spatial Copernicus, l'observatoire européen chargé de collecter des données sur l'état de la planète, certaines parties de l'Europe, dont l'Irlande et le Royaume-Uni (connus pour être venteux), ont connu en 2021 des vitesses de vent moyennes parmi les plus faibles enregistrées depuis 1979.
Le vent étant une donnée hautement variable d'une année à l'autre, il est difficile de savoir s'il s'agit d'un phénomène ponctuel ou d'une tendance à long terme nourrie par le réchauffement climatique, précise l'auteure principale du rapport, Freja Vamborg, citée par La Croix . Toutefois, dans l'un de leurs rapports, les scientifiques du GIEC évoquent une «forte probabilité que les vitesses moyennes du vent diminuent dans les régions méditerranéennes et une probabilité moyenne qu'elles diminuent en Europe du Nord d'ici au milieu du siècle» si le réchauffement global venait à dépasser les 2 °C. Avec un impact direct sur le décollage des avions aux heures chaudes de la journée ?
De son côté, le Centre de recherche fondamentale et appliquée spécialisé dans la modélisation et la simulation numériques (Cerfacs), qui a réalisé des travaux pour en mesurer l'impact du réchauffement climatique sur le décollage d'un avion en partenariat avec Airbus, évoque une autre donnée : l'humidité de l'air. «Grâce à la littérature, on sait que l'humidité a un effet notable sur la poussée. Il semble en effet que la poussée diminue proportionnellement au taux d'humidité présent dans l'air», rappelle le rapport.
En clair, la poussée du moteur, qui permet de faire avancer l'avion mais pas de le faire décoller, pourrait être mise à mal en cas de forte humidité. Même si le rapport du Cerfacs ne permet pas d'établir avec certitude un impact sur le décollage de l'avion, l'humidité de l'air pourrait devenir une donnée signifiante à l'avenir. Car cette dernière augmente avec la hausse des températures. Et l'impact du réchauffement climatique est aggravé quand le taux d'humidité explose.
Des avions cloués au sol à cause de la chaleur
Les vagues de chaleur ont déjà fait des dégâts dans le secteur de l'aviation commerciale : des avions sont tout bonnement restés cloués au sol à cause des canicules. En 2017, 43 vols ont été annulés en l'espace de quelques heures à l'aéroport de Phoenix-Sky Harbor, aux États-Unis. À l'époque, le thermomètre frôlait les 50°C, soit une température trop importante pour permettre aux avions de quitter la piste de roulage. Un an plus tard, en pleine canicule, plusieurs avions en partance du London City Airport ont été contraints de laisser des passagers au sol car les appareils étaient trop lourds pour décoller sous 35°C.
En plein été, les compagnies aériennes seront-elles obligées de réduire le nombre de passagers pour partir dans de bonnes conditions ? L'étude de l'université de Columbia, citée plus haut, a montré qu'avec la hausse des températures, les avions devront être plus légers s'ils veulent décoller dans les heures les plus chaudes de la journée, en particulier dans les aéroports avec des pistes plus courtes. Ces travaux ont ainsi prédit que, d'ici à 2050, un avion comme un Boeing 737 pourrait subir des restrictions de poids accrues de 50 % à 200 % pendant les mois d'été. Comme le dévoile l'étude, certains aéroports sont plus vulnérables que d'autres, comme La Guardia de New York, le Ronald Reagan National Airport de Washington, l'aéroport international de Denver et le Phoenix-Sky Harbor.
Plus de départs tôt le matin et tard le soir, une tactique déjà utilisée dans les zones chaudes comme le Moyen-Orient
Pour Paul Williams, de l'université de Reading, plusieurs solutions sont possibles pour ne pas subir le phénomène. «L'une serait de programmer des départs bien en amont et en aval du climax de la journée, avec plus de départs tôt le matin et tard le soir, ce qui est une tactique déjà utilisée dans les zones chaudes comme le Moyen-Orient.» Il faut également repenser la conception des avions, qui devraient être plus légers et aérodynamiques. Des constructeurs, comme Airbus, ont d'ores et déjà fait des annonces qui vont dans ce sens. D'autres proposent déjà une option «hot and high» sur certains de leurs appareils amenés à décoller, sous une forte chaleur, depuis des aéroports en altitude. Enfin, les aéroports pourraient augmenter la longueur des pistes pour le décollage, ce qui nécessiterait de gros travaux d'infrastructures.
Mais pour le scientifique, il ne faut pas céder à la panique. Même si ces solutions ne peuvent pas s'appliquer dans certains cas, le débarquement de passagers reste rare. Pour autant, le phénomène ne devrait pas être ignoré, car amené - au même titre que le réchauffement climatique - à s'aggraver.
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