L'année 2022 aura été celle du renouveau du transport aérien et d'Air France. Après dix milliards d'euros de pertes cumulées lors des deux premières années de la pandémie de Covid-19, le groupe a retrouvé des problèmes plus traditionnels : maîtrise des coûts, facture carburant, gestion de la capacité et du réseau. Mais il doit encore composer avec des difficultés héritées de cette sombre période et absolument renforcer ses fonds propres avant la fin de l'année 2023.
A l'image du transport aérien, Air France-KLM va mieux. Beaucoup mieux même. L'activité a bien repris depuis le printemps dernier, et certains marchés ont surperformé par rapport à 2019. Les revenus entrent à nouveau et le groupe devrait être bénéficiaire. Mais, à l'image du transport aérien là aussi, le redressement n'est pas encore fini. Il reste plusieurs défis de taille à relever pour l'année 2023, que ce soit sur le plan financier, de la gouvernance ou opérationnel avec des échéances qui arrivent rapidement.
L'un des premiers défis sera le rétablissement du bilan d'Air France-KLM, et plus spécifiquement celui d'Air France. Après avoir accumulé plus de 10 milliards de pertes nettes entre 2020 et 2021, le groupe doit faire face à des capitaux propres largement négatifs, à hauteur de 2,8 milliards d'euros au 30 septembre dernier. Et ce en dépit différentes opérations de recapitalisation menées depuis deux ans et d'améliorations notables.
En 2022, les capitaux propres ont ainsi été accrus de plus d'un milliard d'euros par rapport à fin 2021. Cela est largement dû à l'augmentation de capital de près de 2,3 milliards d'euros - avec l'arrivée de CMA CGM comme actionnaire de référence. Elle a notamment permis de multiplier par 4 le capital social du groupe, à près de 2,6 milliards d'euros.
L'amélioration des résultats a aussi eu un effet positif, avec un bénéfice opérationnel de plus de 1 milliard d'euros sur les neuf premiers mois de l'année. Et pour l'instant, les ventes se maintiennent sur une belle dynamique en dépit des vents contraires : remontée du prix des billets, inflation généralisée, crise énergétique, guerre en Ukraine... Le groupe table seulement sur un résultat supérieur à 900 millions d'euros sur l'année entière, mais il s'est montré jusque-là très prudent dans ses prévisions et a fait mieux qu'annoncé. Cela se traduit par des bénéfices nets, qui étaient de 232 millions d'euros cumulés sur les neufs premiers mois de l'année.
Renforcer encore et toujours les fonds propres
Cela reste tout de même insuffisant. Le montant des capitaux propres est encore inférieur à la moitié de son capital social, comme c'est le cas depuis le déclenchement de la crise. Conformément à la loi, le groupe a légalement jusqu'à fin 2023 pour redresser la barre. Dans le même temps, Air France-KLM doit continuer de rembourser les aides d'Etat perçues pendant la crise et réduire encore sa dette (descendue sous les 6 milliards d'euros au 30 septembre). Là aussi, c'est Air France qui est en première ligne avec encore 2,5 milliards d'euros de prêt garanti par l'Etat (PGE) à rembourser - avec 1,15 milliard d'euros prévus d'ici mai 2024, et 1,35 milliard d'ici mai 2025 - quand KLM s'en est acquitté cet été.
Tout cela va nécessiter de nouvelles opérations capitalistiques dans les mois à venir. De premières pistes sont du moins espérées d'ici l'assemblée générale annuelle en mai. Selon un connaisseur du secteur, Air France-KLM devrait à nouveau procéder à un panachage d'opérations, jouant entre fonds propres et quasi-fonds propres. Lors des résultats du troisième semestre, Air France-KLM a d'ailleurs annoncé la « possible émission d'obligations hybrides jusqu'à 1,2 milliard d'euros, en fonction des conditions de marché » - ce qui a été fait à hauteur de 300 millions d'euros en novembre - ainsi que la monétisation d'actifs pour restaurer les fonds propres. Cela pourrait s'apparenter à l'opération originale réalisée avec le fonds financier américain Apollo, qui a investi 500 millions d'euros en juillet dans une filiale opérationnelle d'Air France, spécialement constituée et valorisée grâce à la propriété de moteurs de rechange.
Le même connaisseur prévient en revanche que les marges sont réduites quant à une possible nouvelle augmentation de capital : les montants nécessaires seront sans doute trop élevés pour arriver à se financer uniquement sur les marchés et trouver un nouvel investisseur institutionnel ou industriel, comme ce fut le cas avec CMA CGM en juin dernier, n'est pas monnaie courante. De plus, l'Etat français est normalement dans une politique de désengagement. De toute façon, avec 28,6 % du capital, il ne peut guère aller plus loin : au-delà de 30 %, la loi impose de déclencher une offre publique d'achat (OPA). Enfin, les autres actionnaires tels que Delta Air Lines ou China Eastern Airlines ne seraient sans doute pas ravis de se voir à nouveau diluer.
Le nouveau président se fait attendre
Sur le plan de la gouvernance, Air France-KLM devra trouver la perle rare pour remplacer Anne-Marie Couderc. Alors qu'elle devait lâcher les rênes l'an prochain en raison de la limite d'âge fixée par les statuts (72 ans), le conseil d'administration a décidé de modifier ceux-ci pour la prolonger une année supplémentaire le temps de trouver un successeur. Sous réserve d'une approbation en assemblée générale, « les fonctions de Mme Anne-Marie Couderc en tant que présidente du conseil d'administration d'Air France-KLM seront prolongées jusqu'au terme de son mandat d'administrateur, soit jusqu'à l'issue de l'assemblée générale 2024 devant approuver les comptes de l'année 2023 », a-t-on appris par communiqué début décembre.
Lors de son arrivée en 2018, suite à la démission rocambolesque du PDG de l'époque, Jean-Marc Janaillac, Anne-Marie Couderc ne devait rester que quelques mois. Elle a finalement été reconduite en 2020, alors qu'elle avait déjà 70 ans, et la limite d'âge avait déjà été repoussée de deux ans en conséquence. Mais cela n'a pas suffi pour lui trouver un remplaçant. Visiblement, aucun candidat ne s'est dégagé parmi les prétendants. Au mois de juillet dernier, l'ancienne ministre des Armées, Florence Parly, était en pole position même si l'hypothèse d'un retour de celle qui occupa plusieurs postes de direction au sein du groupe faisait débat en interne. Et la nouvelle ne semblait pas non plus réjouir parmi les syndicats.
La bonne nouvelle au niveau de la gouvernance vient plutôt des Pays-Bas, Marjan Rintel semble prendre ses marques en tant que nouvelle directrice générale de KLM. Passer après le charismatique Pieter Elbers n'est pourtant pas chose aisée. Les relations entre la compagnie néerlandaise et le groupe Air France-KLM, ainsi qu'avec sa consœur française semblent enfin se normaliser, loin des velléités autonomistes de l'ancienne direction.
Tenir les coûts à tout prix
Sur le plan opérationnel, Air France-KLM devra continuer de se montrer performant. Au vu des efforts faits pendant la crise pour baisser les coûts, le groupe est plutôt dans une bonne posture. Il arrive à être rentable alors qu'il n'a pas encore recouvré son périmètre d'avant la crise. Mais Air France-KLM devra rester prudent sur la maîtrise des coûts. Ceux-ci sont repartis à la hausse avec la hausse des coûts carburant, avec un prix du kérosène toujours largement supérieur à celui du pétrole brut, mais aussi la parité euro/dollar et l'inflation qui pèsent sur les achats. L'inflation a aussi conduit le groupe a accordé une prime et des augmentations généralisées qui pourront atteindre jusqu'à 5 % en 2023. Le coût de ces hausses de salaires est estimé à 180 millions d'euros par an.
Cette augmentation des coûts est pour l'instant couverte par celle du prix des billets. La demande réagit bien pour le moment, mais une inversion de tendance n'est pas à exclure surtout si le risque de récession se confirme l'an prochain. Sans compter qu'Air France-KLM doit composer avec une concurrence ragaillardie. C'est notamment le cas de Lufthansa qui a relevé ses prévisions annuelles, avec un bénéfice opérationnel attendu d'au moins 1,5 milliard d'euros, et qui pourrait bien mettre la main sur ITA Airways au détriment de son concurrent français.
Malgré tout, si les coûts sont maîtrisés et que la demande se maintient, la situation financière pourrait encore s'améliorer avec la hausse de capacité prévue l'an prochain : de 85 % du niveau de 2019 atteint fin 2022, le groupe doit passer à plus de 90 % l'an prochain. Les coûts fixes étant déjà couverts, tout apport de trafic pourrait s'avérer rentable.
L'Asie en ligne de mire
Les routes vers l'Amérique du Nord et l'Outre-Mer sont déjà au-dessus de 2019, et l'Afrique quasiment à niveau, et l'Amérique latine accuse encore du retard. Mais la principale inconnue vient d'Asie, où les capacités d'Air France-KLM sont encore moitié moindres qu'avant la crise. Cela devrait s'améliorer en 2023, et dépasser les 60 %. La réouverture progressive des frontières, notamment au Japon ou en Corée du Sud, ouvre de belles perspectives en ce sens, et l'Inde offre un potentiel de croissance non négligeable.
En revanche, la Chine peut inquiéter. Bien que le trafic avec l'Empire du Milieu ne représentait que quelques pourcents du trafic d'Air France-KLM avant crise, la réouverture de ses frontières était attendue. Mais sans doute pas si vite et pas de cette manière. La flambée de l'épidémie de Covid et la possibilité de voir de nouveaux variants apparaître et se diffuser avec la reprise des vols suscitent de fortes craintes chez nombre d'Etats, et a fortiori chez les acteurs du transport aérien.
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